« Kle kou » : un hymne au masochisme !
S’il est un domaine en Haïti où la liberté est toujours poussée jusqu’à la licence c’est bien celui de la musique. En effet, depuis quelque temps, nos artistes, toutes catégories confondues (Rap, Konpa, Rabòday…), ne s’embarrassent pas (ou plus) de décence, de morale ou d’éthique, quand il s’agit de mettre leur « art » au service des mœurs les plus basses. C’est l’obsession du hit ! C’est la course au « populaire » ! Dans le paysage musical haïtien où l’impudicité s’allie à la pornographie pour donner naissance aux viles sottises ou pour faire l’apologie des perversions, une chanson (un hit !) retient l’attention : « Kle kou » du populaire artiste Kenny Haïti. Tiré de l’album, ‘’Time to shine’’, ce tube au rythme entrainant, dégageant une puissante charge érotique, a vite connu un succès fou auprès d’un public qui ne jouit, très souvent, que quand l’Art s’exhibe en petite tenue. Un public fétichiste, sommes-nous tentés de dire naïvement. Dans les discothèques, dans les bistrots, sur les statuts WhatsApp et comptes TikTok des jeunes qui ne s’imposent pas de brides, l’hymne au masochisme de Kenny Haïti résonne.
Dans cette chanson plus libidinale que sentimentale, l’artiste dépeint les Ti fanm d’aujourd’hui comme des vraies passionnées de la domination masculine… du moins sexuellement. « Pa gen koze antr’anba dra, se voye yo pasi pala, fò w pike yo tankou yon ponya…’’. Pour le plaisir, elles se font objets, elles se donnent jusqu’au rabaissement de soi. Ici, dans ce tube qui cartonne, la désappropriation de soi, l’une des formes d’aliénations subies par les femmes depuis la nuit des temps, est très présente. Mais attention, la réification est volontairement demandée, acceptée et louée par les Ti fanm (appellation qui fait penser allusivement à celle aussi triviale que dégradante de Timoun 2000), qui ne prennent leur pied que quand elles sont maltraitées (ou mâle-traitées !), rabrouées, humiliées… Comme si leur jouissance orgasmique dépend de leur plate et inconditionnelle soumission au sexe opposé. Bref, dans ce morceau qui cartonne, l’idée s’insinue décidément qu’entre les deux pervers, l’homme et la femme, le sado et le maso, s’est instauré un contrat implicite, liant le plaisir maximum de l’un à la souffrance extrême de l’autre.
M pa ta vle pou w chanje m pozisyon jouktan li jou… ! La soumission féminine masochiste décrite par Kenny Haïti est telle qu’on se demande si les femmes d’aujourd’hui (Ti fanm a lè kile yo) qui font « la chose » très différemment, ne sont pas également prédisposées à la souffrance du syndrome de Stockholm, pour peu qu’elles trouvent un attrait étrange à l’infamante sauvagerie qui les poussent à aimer davantage leurs mâles, qui ne sont vraiment virils que quand ils se font bourreaux. « Li di kite mak sou tout kò li. Kounya m pa bezwen pran ka li. Sè lè m fè l sovaj… » En tout cas, gardons-nous de ravir aux psychanalystes leur droit de qualifier les perversions chantées ou sublimées par le ‘’hit maker’’ de l’industrie musicale haïtienne.
Effectivement, parce que l’art, comme le pense Freud, est une des formes possibles de sublimation, on doit pouvoir prêter attention à des œuvres où l’artiste a investi son sado-masochisme essentiel dans une forme spécifique de symbolisation…
GeorGes Allen