Edgard Leblanc ou la chute du « prétendu » dernier rempart

Le pouvoir rend-il fou ? Cette belle question aussi sensible qu’osée est le titre d’un livre hautement scientifique écrit et publié en 2020 par Erwan Deveze, expert en neuroscience, dont nous vous recommandons la lecture. Mais, en attendant que vous ne le lisiez et le compreniez, faites un petit tour dans l’histoire d’Haïti, passée ou récente, et vous verrez, non sans haut-le-cœur, que le pouvoir a toujours rendu aveugles certains politiciens sur lesquels des Haïtiens fondaient un certain espoir…, à la limite, un espoir fou. Par une étonnante magie, le pouvoir a même rendu totalement et follement méconnaissables des gens connus, très bien connus, trop bien connus. C’est le cas de le dire pour Edgard Leblanc Fils, premier président éphémère du Conseil présidentiel de transition. En effet, lors de son discours le 30 juillet dernier à la 47ème session des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CARICOM à la Grenade, Edgard a lâché une bombe. « Dans la capitale, dans le nord comme dans le sud, la vie a repris quasiment totalement… », a déclaré, effrontément, le représentant de l’Accord du 30 janvier au CPT. Ceux qui n’ont pas vendu leur âme et leurs yeux au diable, donc pouvant voir encore, s’interrogent : pourquoi l’Haïti du responsable de l’OPL est-elle si différente de celle dont la triste et scabreuse réalité est mondialement connue ? Que s’est-il passé dans la tête de cet homme prétendument intègre et rectiligne en si peu de temps ?

Scrutons un peu cette capitale où la vie a repris, pour répéter M. Leblanc. C’est là que, très récemment, soit le 29 juillet dernier, le Premier ministre Garry Conille, en visite à l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti, a failli laisser sa peau à la suite d’une attaque orchestrée par des gangs armés. C’est là que vivotent, depuis plusieurs mois, des centaines de déplacés réfugiés dans le bâtiment qui logeait jusqu’ici le Ministère de la communication. C’est là que se trouvent des facultés (publiques/privées) abandonnées par des professeurs et des milliers d’étudiants par peur de s’exposer à la fureur directe des gangs armés ou au hasard d’une balle perdue. C’est aussi là que se trouvent des Ministères rarement fréquentés par leurs titulaires. Et que dire des rues jonchées de fatras, parsemées de flaques d’eaux boueuses, encombrées par des carcasses de véhicules… Port-au-Prince est un mort qui respire, mais où la vie n’habite plus Monsieur le Conseiller-président !

Tout compte fait, 159 ans après sa mort, Abraham Lincoln a encore raison d’avoir prescrit le pouvoir comme test pour déceler le vrai caractère d’un homme. Même si la Presse haïtienne de plus en plus crétinisante n’en parle pas, la mensongère déclaration d’Edgard Leblanc sur Haïti, en présence des Chefs d’Etat et de gouvernement des pays de la région caribéenne, est à prendre très au sérieux.
Elle est révélatrice d’un homme politique sans la moindre conscience de ses Devoirs actuels et, malheureusement, non entravé par une certaine éthique de responsabilité ou une quelconque éthique de conviction qui lui ferait dire même une demi-vérité même si pas trop conforme à la réalité. Au fond, il s’agit d’une déclaration irresponsable frôlant un nihilisme dégradant, prononcée par un politicien bien conscient que le contrôle social, la sanction morale n’ont pas cours dans sa société. Pis encore, ce sont des propos empreints d’un cynisme qui se fout de tout le monde et de son père, qui se moque du qu’en-dira-t-on. Ici, on peut mentir sans rien risquer, même pas son honneur.

En somme, l’histoire récente nous montre qu’en moins de deux (2) ans d’une certaine période de transition, deux personnalités mûres en âge comme en politique, à savoir Mirlande Manigat et Edgard Leblanc, n’ont pas réussi le test lincolnien du pouvoir. Ils n’ont pas su se montrer différents du grand nombre, tels qu’une certaine opinion les voyait. Ils ont montré leur vrai caractère, du moins politique, tout aussi ordinaire que ces politiciens qui ont des yeux et des oreilles, mais se font aveugles et sourds.

GeorGes Allen

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