Haïti : l’insécurité s’accroît, près de 5 millions de personnes menacées par la famine

La recrudescence des actes de violence en Haïti depuis le 29 février 2024 complique davantage la vie, voire la survie des personnes les plus vulnérables notamment. Les derniers chiffres publiés par le Programme alimentaire mondial (PAM) sur le nombre de personnes en insécurité alimentaire donnent froid dans le dos. 4,9 millions au total. De ce nombre, plus de 1,64 million ont un besoin urgent de nourriture. C’est le pire niveau d’insécurité alimentaire jamais enregistré en Haïti, souligne le PAM dans un contexte où les gangs armés semblent avoir fait de la destruction du pays un acte de foi. Durant toute cette semaine, du lundi 18 au samedi 23 mars 2024, les bandits ont multiplié les assauts dans toute la zone métropolitaine de Port-au-Prince, limitant de plus en plus le déplacement d’une population menacée par la famine.

« […] près de 5 millions de personnes (50% de la population analysée) sont classifiées insécurité alimentaire aiguë et par conséquent ont besoin d’une action urgente pour combler leurs déficits de consommation alimentaire et protéger leurs moyens d’existence durant la période de mars à juin 2024. Aussi, la prévalence de l’insécurité alimentaire projetée a augmenté de 45% à 50% par rapport à la période courante d’aout 2023 à février 2024. La détérioration continue des conditions de sécurité alimentaire résulte entre autres : de la violence persistante et de nouveaux théâtres de conflits armés perturbant sévèrement les chaines d’approvisionnement, de l’accroissement du nombre des déplacés internes contraints d’abandonner leurs moyens d’existence, de la hausse de la valeur du panier alimentaire subissant une augmentation de 22% en février par rapport au mois août 2023, de la faible performance de la campagne d’hiver 2023 et des campagnes antérieures, des pertes accrues d’emplois par ricochet des pertes de sources de revenus en raison de la violence des groupes armés », détaille pour sa part la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), alertant ainsi les acteurs de la sécurité alimentaire face à cette situation quasi apocalyptique.

Dans la foulée des chiffres alarmants communiqués tant par des institutions nationales qu’internationales, l’Organisation des Nations unies (ONU) fait état de 5,5 millions d’Haïtiens ayant besoin d’aide humanitaire en raison de l’avancée des gangs armés. Or, l’acheminement de cette aide est de plus en plus difficile, l’aéroport de Port-au-Prince restant fermé, et une partie du port étant toujours attaquée. Et à Jean-Martin Bauer, directeur de pays du PAM en Haïti, d’enfoncer le clou comme pour sensibiliser les décideurs : « Les Haïtiens sont au bord du gouffre – une personne sur deux a faim aujourd’hui. L’augmentation de la faim aggrave la crise de sécurité qui ébranle le pays. Nous avons besoin d’une action urgente maintenant – attendre pour répondre à cette situation dans toute son ampleur n’est pas une option ».

De la crise à la catastrophe humanitaire

Se voulant plus réaliste qu’alarmiste, le Docteur Jean Ardouin Louis Charles de l’Association médicale haïtienne (AMH) a déclaré récemment sans équivoque lors d’une émission radiophonique : « Nous sommes en plein dans une catastrophe humanitaire, principalement médicale ». Hautement préoccupé par cette situation qui risque de faire plonger le pays, le toubib explique : « Cette crise affecte le monde médical ; de nombreuses institutions ne peuvent plus travailler. Dans la zone métropolitaine, on peut citer le Sanatorium, l’hôpital Saint-François de Sales qui a été pillé, ainsi qu’une clinique en face de cet hôpital. L’hôpital général ne fonctionne plus, tout comme ceux qui sont dans ses environs. Cette situation est d’autant plus préoccupante pour les patients qui ne peuvent plus recevoir les soins dont ils ont besoin. Les personnes atteintes de maladies chroniques, celles souffrant de tuberculose ou vivant avec le VIH/Sida devraient impérativement suivre leur traitement. Les autorités doivent prendre des mesures, car elles pourraient contaminer d’autres personnes. Et ces maladies, lorsqu’on ne prend pas de médicaments, peuvent devenir résistantes. Quand on prend les médicaments avec du retard, les effets escomptés peuvent ne pas se produire ». Ainsi, dans un élan visiblement humaniste, le Docteur Jean Ardouin Louis Charles invite la communauté internationale et les acteurs nationaux à prendre au sérieux la crise qui sévit en Haïti.

Et c’est dans ce contexte que le Cadre de liaison inter-organisations (Clio), une alliance de 80 ONG nationales et internationales opérant en Haïti, plaide pour une assistance immédiate vers les populations les plus touchées par les escalades de violence ayant cours en Haïti. « Face à ces circonstances déplorables et à la détérioration catastrophique de la situation sécuritaire, le Clio en appelle à un accès sûr, immédiat et sans entrave aux populations touchées. Cet accès est indispensable pour faire face aux risques de protection et répondre aux besoins fondamentaux des personnes les plus exposées. Nous exhortons les acteurs étatiques à œuvrer de toute urgence au rétablissement de l’ordre et à mettre un terme aux souffrances insoutenables de la population », encourage la Présidente de cette structure, Angeline Annesteus, dans une note en date du 19 mars dernier, portant sa signature.

Au secours des déplacés !

Dans un rapport qui couvre principalement la période du 11 au 13 mars 2024, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) en Haïti a relaté que 15 000 personnes ont été déplacées dans la région de Port-au-Prince depuis le 29 février. C’est qui porte à 362 000 le nombre de déplacés enregistrés à l’intérieur du pays depuis que des hommes armés tuent, volent, violent, incendient, kidnappent sous le regard jugé complice des autorités. Dans ce contexte délétère, le gouvernement des États-Unis, par l’intermédiaire de l’USAID, a annoncé une enveloppe de 33 millions de dollars d’aide humanitaire supplémentaire au peuple haïtien. Dans les détails, l’Oncle Sam a précisé que grâce à ce financement supplémentaire, l’USAID aidera le Programme alimentaire mondial (PAM), l’UNICEF et les ONG partenaires à fournir une aide alimentaire en nature, un soutien nutritionnel aux nourrissons et aux jeunes enfants, des services de santé essentiels, un meilleur accès à l’eau potable, ainsi que la prévention et la réponse à la violence basée sur le genre, entre autres activités humanitaires essentielles. Un montant qui reste bloqué, vu que le gouvernement est quasiment dysfonctionnel depuis que le Premier ministre Ariel Henry a été privé d’accès d’entrer dans son pays après sa visite au Kenya.

Comme l’a titré à la une le quotidien Le Nouvelliste récemment, Port-au-Prince est sous la menace d’une « pénurie de tout » à cause de la fermeture du port et de l’aéroport de la capitale. Aucun navire n’a accosté au port de Port-au-Prince depuis l’assaut de la bande à Izo (5 mars 2024), les hôpitaux ne reçoivent plus de médicaments alors que tous les intrants nécessaires à leur fonctionnement sont au bord de l’épuisement. Pour couronner le tout, le terminal Varreux, principal site gazier du pays, est dysfonctionnel. Si la situation reste inchangée, malgré le timide réveil de la Police nationale, le pays risque de devenir littéralement un enfer.

RTVC

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