Terre invivable. Entité chaotique ingouvernable. Etat failli. République dysfonctionnelle… Aujourd’hui, tous ces qualificatifs pour le moins scabreux sont malheureusement applicables à Haïti en raison de l’hyperviolence qui y règne, rendant l’espoir d’une reconstruction ou d’une refondation de plus en plus illusoire. Dans ce contexte où la loi scélérate des bandes criminelles met en veilleuse toutes les lois républicaines, bafoue tous les principes démocratiques du vivre-ensemble, que faire ? Tout homme impuissant et jouissant d’une certaine lucidité n’a qu’une option : fuir. Fuir pour ne pas mourir. Ou peut-être une autre, qui relève de la résignation : Mourir. Mourir si l’on n’a nulle part où aller ; mourir si l’on ne peut fuir. Mais quand un homme, doté de puissance, voire de superpuissance, prend la fuite face à une faiblesse arrogante qui se prend pour force suprême, il y a lieu de s’inquiéter. Il y a lieu de s’interroger.
Ainsi ont agi les pays « dits » amis d’Haïti. Ils ont fui. Face aux gangs armés qui font figure de poids plume au regard de leur superpuissance, les Etats-Unis, la France, l’Allemagne, le Canada, l’Union européenne ont quand même pris la poudre d’escampette.
Durant toute cette semaine et bien avant, les notes relatives à la fermeture des ambassades, des consulats, à l’évacuation des membres du personnel et du personnel non-essentiel des représentations diplomatiques, se sont succédé. « L’augmentation de la violence des gangs dans le voisinage de l’ambassade américaine et de l’aéroport a conduit le Département d’Etat à prendre des dispositions permettant le départ (par hélicoptère, Ndr) d’autres membres du personnel de l’ambassade… », lit-on dans un message de la Mission diplomatique des Etats-Unis en Haïti, publié en date du 10 mars 2024 sur son compte X (autrefois twitter).
Dans ce même élan de désertion, l’Union européenne annonce le lendemain : « En réponse à la détérioration dramatique de la situation sécuritaire, nous avons décidé de réduire nos activités sur le terrain et nous avons déplacé le personnel de la délégation de l’UE à Port-au-Prince vers un endroit plus sûr à l’extérieur du pays […]. Actuellement nous avons évacué tout le personnel de l’UE d’Haïti ». C’est le cas de la France, de l’Allemagne, du Canada entre autres. Tous ont choisi l’option de la fuite. Et le malheur continue de s’abattre sur Haïti, cette maison en ruine où les gangs armés sont « Rois ».
Pour ceux, en majorité d’ailleurs, qui comptaient encore sur les Etats-Unis, la France, le Canada, pour sortir Haïti des griffes des caïds, ces annonces de fermeture ou de restriction sont une balle perdue pour leur mince espoir. En faisant leurs valises alors que la situation vire au chaos infernal, ces pays « dits » amis confirment, si besoin est, qu’Haïti n’a pas encore esquissé un pas vers le pire qui l’attend. Pita pral pi tris ! Et ces grands pays qui excellent dans l’art de l’anticipation et de la prospection le savent. C’est par intérêt qu’ils fuient et c’est aussi par intérêt qu’ils ne font rien, quand ils font semblant de faire quelque chose. Parlant d’action simulée, même l’Haïtien moyen, ignorant tout de la Mission de paix à la Polémologie, compte beaucoup plus, à tort ou à raison, sur 500 soldats américains dotés d’armes de poing que sur toute une armada de policiers kényans en Kalachnikov dernière version. Autant dire que pour sortir Haïti de sa situation de « Terre invivable », d’« Entité chaotique ingouvernable », d’ « Etat failli », de « République dysfonctionnelle », même l’Haïtien qui accuse les Etats-Unis d’en être les principaux responsables compte paradoxalement sur les Américains pour voir la lumière au bout du tunnel. Mais en attendant de sortir de l’auberge, dans l’adversité féroce imposée par les gangs armés, Haïti ne reconnait plus ses « amis ».
GeorGes E. Allen