Nouvelle Plateforme pour Régulariser les Agents Contractuels : Un Échec Annoncé Sans Formation et Centralisation des Données

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L’État haïtien se lance avec ferveur dans un projet de modernisation de ses outils administratifs, avec l’introduction d’une plateforme numérique dédiée à la gestion des agents contractuels. Une initiative ambitieuse, certes, mais qui semble ignorer une vérité pourtant évidente : sans une base solide d’éducation numérique, sans centralisation des institutions, et sans une vision globale, ces efforts risquent de se heurter au même mur que les précédents projets cosmétiques de l’État.

Un État déconnecté de sa réalité

Présentée avec éclat à l’Hôtel Karibe, cette nouvelle plateforme s’appuie sur des technologies que beaucoup d’agents contractuels de l’État haïtien ne maîtrisent tout simplement pas. Demander à des employés, dont la plupart ne possèdent même pas d’adresse email, de s’inscrire sur une plateforme numérique, c’est un peu comme leur demander de piloter un avion sans les former au préalable. Une déconnexion totale entre les ambitions numériques de l’État et les réalités quotidiennes de ses employés.

Pire encore, la plateforme se heurte à des problèmes techniques majeurs, notamment des connexions défaillantes avec le serveur de l’Office National d’Identification (ONI), rendant impossible toute avancée dans le processus d’inscription. Un écueil déjà constaté avec le système Delidoc, mais que l’État semble n’avoir ni anticipé ni résolu. À cela s’ajoute l’incapacité de la plateforme à géolocaliser correctement les utilisateurs, une faille exacerbée par l’utilisation de VPN. Pourquoi ne pas avoir opté pour un système biométrique, plus sûr et plus adapté à notre contexte ? Là encore, l’incompréhension règne.

Les projets cosmétiques de l’État, une histoire d’échecs répétés

Ce nouveau projet, comme tant d’autres avant lui, risque de suivre le même chemin que les précédentes initiatives de l’État visant à l’informatisation de l’administration publique : l’abandon. Trop souvent, les projets cosmétiques qui ne s’attaquent pas de manière globale aux problèmes structurels de l’administration haïtienne finissent par être relégués aux oubliettes. L’histoire récente regorge d’exemples de projets ambitieux, mais mal conçus ou mal exécutés, qui n’ont jamais abouti. Ces échecs répétés devraient inciter à la prudence et à une meilleure planification avant de lancer de telles initiatives.

L’éducation numérique, une urgence oubliée

Mais au-delà de ces défis techniques et structurels, c’est l’absence d’éducation numérique qui transforme cette belle initiative en un potentiel fiasco. Comment justifier un projet de cette envergure sans préparer le terrain, sans s’assurer que chaque agent est capable d’utiliser les outils numériques nécessaires ? L’État aurait dû commencer par une vaste campagne d’éducation numérique, accessible à tous, pour doter ses employés des compétences indispensables à cette transition.

Les plus optimistes diront que ce projet est encore en phase de déploiement, que des ajustements seront faits. Mais le fait est que l’État haïtien s’apprête également à étendre cette plateforme aux employés réguliers de l’administration publique, sans avoir résolu les problèmes actuels. Un pas vers l’échec assuré si rien n’est fait pour éduquer et former ces futurs utilisateurs.

La centralisation des institutions : une nécessité absolue

Au-delà de l’éducation numérique, une autre lacune majeure de cette initiative réside dans l’absence de centralisation des institutions étatiques. Pour que cette plateforme soit véritablement efficace, il est impératif de centraliser toutes les institutions étatiques, telles que l’Électricité d’Haïti (EDH), la Direction Générale des Impôts (DGI), les services de passeports, ainsi que les infrastructures aéroportuaires. Cette centralisation permettrait une gestion intégrée et cohérente des données, facilitant ainsi les processus administratifs et renforçant la transparence au sein de l’État.

En regroupant ces institutions sous une même plateforme, l’État haïtien pourrait non seulement améliorer l’efficacité de ses services, mais aussi réduire les redondances et les incohérences qui caractérisent actuellement le système. Cette centralisation offrirait également une vue d’ensemble claire et précise des opérations de l’État, permettant ainsi une meilleure planification et une gestion plus rigoureuse des ressources.

Apprendre des modèles internationaux : le rôle clé des universités

Dans les pays développés, les projets de développement les plus ambitieux et les plus réussis prennent souvent racine au sein des universités publiques. Ces institutions, véritables incubateurs d’innovation, jouent un rôle central dans la conception et la mise en œuvre de solutions technologiques avancées. Les États collaborent étroitement avec ces universités pour s’assurer que les projets ne sont pas seulement techniquement viables, mais aussi adaptés aux besoins réels de la population.

Il est temps que l’État haïtien s’inspire de ces modèles et s’associe avec ses propres institutions académiques pour développer des solutions adaptées à son contexte. Les universités haïtiennes, si elles sont correctement soutenues et financées, pourraient devenir des moteurs de développement technologique, fournissant à l’État les outils nécessaires pour réussir sa transition numérique.

Des solutions existent, mais le temps presse

Les solutions pour éviter ce naufrage numérique existent, et elles sont à portée de main. Il est impératif de lancer immédiatement une campagne massive d’éducation numérique pour tous les employés de l’État. Cela inclut non seulement l’apprentissage des bases, comme la création et l’utilisation d’une adresse email, mais aussi une formation plus approfondie sur l’utilisation de la plateforme elle-même.

De plus, l’État doit sérieusement envisager l’adoption d’un système biométrique pour pallier les insuffisances actuelles, notamment en matière de géolocalisation et de sécurité des données. Améliorer l’infrastructure réseau pour garantir une connexion stable et fiable est tout aussi crucial. Enfin, des points d’enregistrement physique doivent être mis en place pour accompagner les agents dans leur inscription et leur utilisation de la plateforme.

Une modernisation à repenser

L’intention de moderniser l’administration publique haïtienne est louable, mais elle doit s’accompagner d’une stratégie réaliste et inclusive. Ce n’est qu’en dotant ses employés des compétences numériques nécessaires et en centralisant les institutions clés que l’État pourra véritablement réussir sa transformation. À l’heure actuelle, cette plateforme numérique risque de devenir un symbole d’échec plutôt qu’une réussite. Il est encore temps de redresser la barre, mais cela nécessitera un engagement fort en faveur de l’éducation numérique, de la centralisation des institutions, et de la collaboration avec les universités. L’avenir de la gouvernance en Haïti en dépend.

Par John BOISGUÉNÉ

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